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Page:Durkheim - Le Suicide, Alcan, 1897.djvu/416

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394 LE SUICIDE. par elle-même, la détention développe une très forte inclination au suicide. Même si Ton ne tient pas compte des individus qui se tuent aussitôt arrêtés et avant leur condamnation, il reste un nombre considérable de suicides qui ne peuvent être attribués qu’à Tinfluence exercée par la vie de la prison (*). Mais alors, le meurtrier incarcéré devrait avoir pour la mort volontaire un penchant d’une extrême violence, si l’aggravation qui résulte déjà de son incarcération é(ait encore renforcée pur les prédis- positions congénitales qu’on lui prête. Le fait qu’il est, à ce point de vue, plutôt au-dessous delà moyenne qu’au-dçssus n’e3t donc guère favorable à l’hypothèse d’après laquelle il aurait, par la seule vertu de son tempérannent, une affinité naturelle pour le suicide, toute prête à se manifester dès que les circonstances en favorisent le développement. D’ailleurs, nous n’entendons pas soutenir qu’il jouisse d’une véritable immunité; les renseigne- ments dont nous disposons ne sont pas suffisants pour trancher la question. Il est possible que, dans certaines conditions, les grands criminels fassent assez bon marché de leur vie et y re- noncent sans trop de peine. Mais, à tout le moins, le fait n’a-t-il pas la -généralité et la nécessité qui sont logiquement impliquées dans la thèse italienne. C’est ce qu’il nous suffisait d’éta- blir (2). (1) En quoi consiste cette influence? Une part semble bien en devoir être attribuée au régime cellulaire. Mais nous ne serions pas étonné que la. vie commune de la prison fût de nature à produire les mêmes effets. On sait que la société des malfaiteurs et des détenus est très cohérente ; Tindividu y est complètement effacé et la discipline de la piison agit dans le même sens. Il pourrait donc s’y passer quelque chose d^analogue à ce que nous avons observé dans l’armée. Ce qui confirme cette hypothèse, c’est que les épidé- mies de suicides sont fréquentes dans les prisons comme dans les casernes. (2) Une statistique rapportée par Ferri {Omicidio, p. 373) n’est pas plus probante. De 1866 à 1876, il y aurait eu, dans les bagnes italiens, 17 suicides commis par des forçats condamnés pour des crimes contre les personnes, et seulement 5 commis par des auteurs de crimes-propriété. Mais, au bagne, les premiers sont beaucoup plus nombreux que les seconds. Ces chiffres n’ont donc rien de concluant. Nous ignorons, d’ailleurs, à quelle source l’auteur de cette statistique a puisé les éléments dont il s’est servi.