Page:Durkheim - Le Suicide, Alcan, 1897.djvu/449

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L’éducation ne serait-elle pas le plus sûr moyen d’obtenir ce résultat ? Comme elle permet d’agir sur les caractères, ne suffirait-il pas qu’on les formât de manière à les rendre plus vaillants et, ainsi, moins indulgents pour les volontés qui s’abandonnent ? C’est ce qu’a pensé Morselli. Pour lui, le traitement prophylactique du suicide tient tout entier dans le précepte suivant (1) : « Développer chez l’homme le pouvoir de coordonner ses idées et ses sentiments, afin qu’il soit en état de poursuivre un but déterminé dans la vie; en un mot, donner au caractère moral force et énergie ». Un penseur d’une tout autre école aboutit à la même conclusion : « Comment, dit M. Franck, atteindre le suicide dans sa cause? En améliorant la grande œuvre de l’éducation, en travaillant à développer non seulement les intelligences, mais les caractères, non seulement les idées, mais les convictions (2) ».

Mais c’est prêter à l’éducation un pouvoir qu’elle n’a pas. Elle n’est que l’image et le reflet de la société. Elle l’imite et la reproduit en raccourci; elle ne la crée pas. L’éducation est saine quand les peuples eux-mêmes sont à l’état de santé; mais elle se corrompt avec eux, sans pouvoir se modifier d’elle-même. Si le milieu moral est vicié, comme les maîtres eux-mêmes y vivent, ils ne peuvent pas n’en être pas pénétrés; comment alors imprimeraient-ils à ceux qu’ils forment une orientation différente de celle qu’ils ont reçue? Chaque génération nouvelle est élevée par sa devancière, il faut donc que celle-ci s’amende pour amender celle qui la suit. On tourne dans un cercle. Il peut bien se faire que, de loin en loin, quelqu’un surgisse, dont les idées et les aspirations dépassent celles de ses contemporains; mais ce n’est pas avec des individualités isolées qu’on refait la constitution morale des peuples. Sans doute, il nous plaît de croire qu’une voix éloquente peut suffire à transformer comme par enchantement la matière sociale; mais, ici comme ailleurs, rien ne vient de rien. Les volontés les plus énergiques ne peuvent

(1) Op. cit., p. 499.

(2) Art. Suicide, in Diction. Philos.