Page:Durkheim - Le Suicide, Alcan, 1897.djvu/452

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430 LE SUICIDE. La j^ociété religieuse n’est pas moins impropre à cette fonc- tion. Ce n’est pas, sans doute, qu’elle n’ait pu, dans des condi- tions données, exercer une bienfaisante influence; mais c’est que les conditions nécessaires à cette influence ne sont plus ac- tuellement données. En effet, elle ne préserve du suicide que si elle est assez puissamment constituée pour enserrer étroitement l’individu. C’est parce que la religion catholique impose à ses fidèles un vaste système de dogmes et de pratiques et pénètre ainsi tous les détails de leur existence même temporelle, qu’elle les y attache avec plus de force que ne fait le protestantisme. Le catholique eî?t beaucoup moins exposé à perdre de vue les liens qui l’unissent au groupe confessionnel dont il fait partie, parce que ce groupe se rappelle à chaque instant à lui sous la forme de préceptes impératifs qui s’appliquent aux différentes circon- stances de la vie. 11 n’a pas à se demander anxieusement où tendent ses démarches; il les rapporte toutes à Dieu parce qu’elles sont, pour la plupart, réglées par Dieu, c’est-à-dire par l’Église qui en est le corps visible. Mais aussi, parce que ces commandements sont censés émaner d’une autorité surhumaine, la réflexion humaine n’a pas le droit de s’y appliquer. Il y aurait une véritable contradiction à leur attribuer une sem- blable origine et à en permettre la libre critique. La religion ne modère donc le penchant au suicide que dans la mesure où elle empêche l’homme de penser librement. Or, cette main- mise sur l’intelligence individuelle est, dès à présent, difficile et elle le deviendra toujours davantage. Elle froisse nos sentiments les plus chf3rs. Nous nous refusons de plus en plus à admettre qu’on puisse marquer des limites à la raison et lui dire : Tu n’iras pas plus loin. Et ce mouvement ne date pas d’hier; i’iiistoire de l’esprit humain, c’est l’histoire même des progrès de la hbre-pensée. Il est donc puéril de vouloir enrayer un cou- rant que tout prouve irrésistible. A moins que les grandes sociétés actuelles ne se décomposent irrémédiablement et que nous ne revenions aux petits groupements sociaux d’autrefois l^;, (1) Qu’on ne se méprenne pas sur notre pensée. Sans doute, un jour vien- dra où les sociétés actuelles mourront ; elles se décomposeront donc en