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Page:Durkheim - Le Suicide, Alcan, 1897.djvu/453

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CONSÉQUENCES PRATIQUES. 431 c’est-à-dire, à moins que Thumanité ne retourne à son point de départ, les religions ne pourront plus exercer d’empire très étendu ni très profond sur les consciences. Ce n’est pas à dire qu’il ne s’en fondera pas de nouvelles. Mais les seules viables seront celles qui feront au droit d’examen, à l’initiative indivi- duelle, plus de place encore que les sectes même les plus libé- rales du protestantisme. Elles ne sauraient donc avoir sur leurs membres la forte action qui serait indispensable pour mettre obstacle au suicide. Si d’assez nombreux écrivains ont vu dans la religion l’unique remède au mal, c’est qu’ils se sont mépris sur les origines de son pouvoir. Ils la font tenir presque tout entière dans un certain nombre de hautes pensées et de nobles maximes dont le ratio- nalisme, en somme, pourrait s’accommoder et qu’il suffirait, pen- sent-ils, de fixer dans le cœur et dans l’esprit des hommes pour prévenir les défaillances. Mais c’est se tromper et sur ce qui fait l’essence de la religion et surtout sur les causes de l’immunité qu’elle a parfois conférée contre le suicide. Ce privilège, en ef- fet, ne lui venait pas de ce qu’elle entretenait chez l’homme je ne sais quel vague sentiment d’un au delà plus ou moins mys- térieux, mais de la forte et minutieuse discipline à laquelle elle soumettait la conduite et la pensée. Quand elle n’est plus qu’un idéalisme symbolique, qu’une philosophie traditionnelle, mais discutable et plus ou moins étrangère à nos occupations quoti- diennes, il est difficile qu’elle ait sur nous beaucoup d’influence. Un Dieu que sa majesté relègue hors de Tunivers et de tout ce qui est temporel, ne saurait servir de but à notre activité tem- porelle qui se trouve ainsi sans objectif. 11 y a dès lors trop de choses qui sont sans rapports avec lui, pour qu’il suffise à don- ner un sens à la vie. En nous abandonnant le monde, comme indigne de lui, il nous laisse, du même coup, abandonnés à nous- groupes plus petits. Seulement, si l’on induit l’avenir d’après le passé, cet état ne sera que provisoire, ces groupes partiels seront la matière de sociétés nou- velles, beaucoup plus vastes que celles d’aujourd’hui. Encore peut-on pré- voir qu’ils seront eux-mêmes beaucoup plus vastes que ceux dont la réunioii a formé les sociétés actuelles.