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Page:Durkheim - Le Suicide, Alcan, 1897.djvu/454

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432 LE SUICIDE. mêmes pour tout ce qui regarde la vie du monde. Ce n’est pas avec des méditations sur les mystères qui nous entourent, ce n’est même pas avec la croyance en un être tout-puissant, mais infiniment éloigné de nous et auquel nous n’aurons de comptes à rendre que dans un avenir indéterminé, qu’on peut empêcher les hommes de se déprendre de l’existence. En un mot, nous ne sommes préservés du suicide égoïste que dans la mesure où nous sommes sociahsés; mais les religions ne peuvent nous socialiser que dans la mesure où elles nous retirent le droit au libre exa- men. Or, elles n’ont plus et, selon toute vraisemblance, n’auront plus jamais sur nous assez d’autorité pour obtenir de nous un tel sacrifice. Ce n’est donc pas sur elles que l’on peut compter pour endiguer le suicide. Si, d’ailleurs, ceux qui voient dans une restauration religieuse l’unique moyen de nous guérir étaient conséquents avec eux-mêmes, c’est des reUgions les plus ar- chaïques qu’ils devraient réclamer le rétablissement. Car le judaïsme préserve mieux du suicide que le catholicisme et le catholicisme que le protestantisme. Et pourtant, c’est la religion protestante qui est la plus dégagée des pratiques matérielles, la plus idéaliste par conséquent. Le judaïsme, au contraire, mal- gré son grand rôle historique, tient encore par bien des côtés aux formes religieuses les plus primitives. Tant il est vrai que la supériorité morale et intellectuelle du dogme n’est pour rien dans l’action qu’il peut avoir sur le suicide! Reste la famille dont la vertu prophylactique n’est pas dou- teuse. Mais ce serait une illusion de croire qu’il suffira de dimi- nuer le nombre des célibataires pour arrêter le développement du suicide. Car, si les époux ont une moindre tendance à se tuer, cette tendance elle-même va en augmentant avec la même régu- larité et selon les mêmes proportions que celle des célibataires. De 1880 à 1887, les suicides d’époux ont cru de 35 0/0 (3.706 cas au lieu de 2.73o); les suicides de célibataires de 13 0/0 seu- lement (2.894 cas au lieu de 2.S:)4). En 1863-68, d’après les calculs de Bertillon, le taux des premiers était de 154 pour un million; il était de 242 en 1887, avec une augmentation de 57 0/0. Pendant le même temps, le taux des célibataires ne s’élevait pas