Page:Durkheim - Le Suicide, Alcan, 1897.djvu/455

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CONSÉQUENCES PRATIQUES. 433 beaucoup plus; il passait de 173 à 289, avec un accroissemeat de 67 0/0. L aggravation qui s’est produite au cours du siècle est donc indépenda^ite de l’état civil. C’est que, en effet, il s’est produit dans la constitution de la fanîille des changements qui ne lui permettent plus d’avoir la même influence préservatrice qu’autrefois. Tandis que, jadis, elle maintenait la plupart de ses membres dans son orbite depuis leur naissance jusqu’à leur mort et formait une masse compacte, indivisible, douée d’une sorte de pérennité, elle n’a plus aujour- d’hui qu’une durée éphémère. A peine est-elle constituée qu’elle se disperse. Dès que les enfants sont matériellement élevés, ils vont très souvent poursuivre leur éducation au dehors; surtout, dès qu’ils sont adultes, c’est presque une règle qu’ils s’établis- sent loin de leurs parents, et le foyer reste vide. On peut donc dire que, pendant la majeure partie du temps, la famille se ré- duit maintenant au seul couple conjugal et nous savons qu’il agit faiblement sur le suicide. Par suite, tenant moins de place dans la vie, elle ne lui suffît plus comme but. Ce n’est certaine- ment pas que nous chérissions moins nos enfants ; mais c’est qu’ils sont mêlés d’une manière moins étroite et moins continue à notre existence qui, par conséquent, a besoin de quelque autre raison d’être. Parce qu’il nous faut vivre sans eux, il nous faut bien aussi attacher nos pensées et nos actions à d’autres objets. Mais surtout, c’est la famille comme être collectif que cette dispersion périodique réduit à rien. Autrefois, la société domes- tique n’était pas seulement un assemblage d’individus, unis entre eux par des liens d’affection mutuelle; mais c’était aussi le groupe lui-même, dans son unité abstraite et impersonnelle. C’était le nom héréditaire avec tous les souvenirs qu’il rappelait, la maison familiale, le champ des aïeux, la situation et la répu- tation traditionnelles, etc. Tout cela tend à disparaître. Une so- ciété qui se dissout à chaque instant pour se reformer sur d’au- tres points, mais dans des conditions toutes nouvelles et avec de tout autres éléments, n’a pas assez de continuité pour se faire une physionomie personnelle, une histoire qui lui soit propre et à laquelle puissent s’attacher ses membres. Si donc DuRKIlÉlM. 28