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Page:Durkheim - Le Suicide, Alcan, 1897.djvu/456

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434 LE SUICIDE. les hommes ne remplacent pas cet ancien objectif de leur activité à mesure qu’il se dérobe à eux, il est impossible qu’il ne se pro- duise pas un grand vide dans Texistence. Cette cause ne multiplie pas seulement les suicides d’époux, mais aussi ceux des célibataires. Car cet état de la famille oblige les jeunes gens à quitter leur famille natale avant qu’ils ne soient en état d’en fonder une; c’est en partie pour cette raison que les ménages d’une seule personne deviennent toujours plus nombreux et nous avons vu que cet isolement renforce la ten- dance au suicide. Et pourtant, rien ne saurait arrêter ce mou- vement. Autrefois, quand chaque milieu local était plus ou moins fermé aux autres par les usages, les traditions, par la rareté des voies de communication, chaque génération était forcément retenue dans son lieu d’origine ou, tout au moins, ne pouvait pas s’en éloigner beaucoup. Mais, à mesure que ces barrières s’abaissent, que ces milieux particuliers se nivellent et se perdent les uns dans les autres, il est inévitable que les individus se répandent, au gré de leurs ambitions et au mieux de leurs inté- rêts, dans les espaces plus vastes qui leur sont ouverts. Aucun artifice ne saurait donc mettre obstacle à cet essaimage néces- saire et rendre à la famille l’indivisibilité qui faisait sa force. . Le mal serait-il donc incurable? Un pourrait le croire au pre- mier abord puisque, de toutes les sociétés dont nous avons éta- bli précédemment l’heureuse influence, il n’en est aucune qui nous paraisse en état d’y apporter un véritable remède. Mais nous avons montré que si la religion, la famille, la patrie pré- servent du suicide égoïste, la cause n’en doit pas être cherchée dans la nature spéciale des sentiments que chacune met en jeu. Mais elles doivent toutes cette vertu à ce fait général qu’elles sont des sociétés et elles no l’ont que dans la mesure où elles sont des sociétés bien intégrées, c’est-à-dire sans excès ni dans