Page:Durkheim - Le Suicide, Alcan, 1897.djvu/457

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CONSÉQUENCES PRATIQUES. 435 un sens ni dans l’autre. Un tout autre groupe peut donc avoir la, même action, pourvu qu’il ait la même cohésion. Or, en dehors de la société confessionnelle, famiUale, politique, il en est une autre dont il n’a pas été jusqu’à présent question; c’est celle que forment, par leur association, tous les travailleurs du même ordre, tous les coopérateurs de la même fonction, c’est le groupe professionnel ou la corporation. Qu’elle soit apte à jouer ce rôle, c’est ce qui ressort de sa dé- finition. Puisqu’elle est composée d’individus qui se Uvrent aux mêmes travaux et dont les intérêts sont solidaires ou même confondus, il n’est pas de terrain plus propice à la formation d’idées et de sentiments sociaux. L’identité d’origine, de cul- ture, d’occupations fait de l’activité professionnelle la plus riche matière pour une vie commune. Du reste, la corporation a témoigné dans le passé qu’elle était susceptible d’être une per- sonnalité collective, jalouse, même à l’excès, de son autonomie et de son autorité sur ses membres; il n’est donc pas douteux qu’elle ne puisse être pour eux un milieu moral. 11 n’y a pas de raison pour que Tintérôt corporatif n’acquière pas aux yeux des travailleurs ce caractère respectable et celte suprématie que l’intérêt social a toujours par rapport aux intérêts privés dans une société bien constituée. D’un autre côté, le groupe profes- sionnel a sur tous les autres ce triple avantage qu’il est de tous les instants, de tous les lieux et que l’empire qu’il exerce s’étend à la plus grande partie de l’existence. II n’agit pas sur les indi- vidus d’une manière intermittente comme la société pohtique, mais il est toujours en contact avec eux par cela seul que la fonction dont il est l’organe et à laquelle ils collaborent est tou- jours en exercice. Il suit les travailleurs partout où ils se trans- portent; ce que ne peut faire la famille. Kn quelque point qu’ils soient, ils le retrouvent qui les entoure, les rappelle à leurs devoirs, les soutient à l’occasion. Enfln, comme la vie profes- ? sionnelle, c’est presque toute la vie, l’action corporative se fait sentir sur tout le détail de nos occupations qui sont ainsi orien- tées dans un sens collectif. La corporation a donc tout ce qu’il faut pour encadrer l’individu, pour le tirer de son état d’isolé-