Page:Durkheim - Le Suicide, Alcan, 1897.djvu/461

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CONSÉQUliNCES PRATIQUES. 439 excessive dont elle jouissait et qui en faisait un État dans l’État, ne pouvait se maintenir, alors que Torgane gouvernemental, étendant dans tous les sens ses ramifications, se subordonnait de plus en plus tous les organes secondaires de la société. Il fal- lait donc élargir la base sur laquelle reposait l’institution et la rattacher à Tensemble de la vie nationale. Mais si, au lieu de rester isolées, les corporations similaires des différentes localités avaient été reliées les unes aux autres de msuiière à former un même système, si tous ces systèmes avaient été soumis à Tac- lion générale de TÉtat et entretenus ainsi dans un perpétuel sen- timent de leur solidarité, le despotisme de la routine etTégoïsme professionnel se seraient renfermés dans de justes limites. La tradition, en effet, ne se maintient pas aussi facilement inva- riable dans une vaste association, répandue sur un immense territoire, que dans une petite coterie qui ne dépasse pas l’en- ceinte d’une ville (^î; en même temps, chaque groupe particulier est moins enclin à ne voir et à ne poursuivre que son intérêt propre, une fois qu’il est en rapports suivis avec le centre direc- teur de la vie publique. C’est même à cette seule condition que la pensée de la chose commune pourrait être tenue en éveil dans les consciences avec une suffisante continuité. Car, comme les communications seraient alors ininterrompues entre chaquç or- gane particulier et le pouvoir chargé de représenter les intérêts généraux, la société ne se rappellerait plus seulement aux indi- vidus d’une manière intermittente ou vague; nous la sentirions présente dans tout le cours de notre vie quotidienne. Mais en renversant ce qui existait sans rien mettre à la place, on n’a fait que substituer, à l’égoïsme corporatif, l’égoïsme individuel qui est plus dissolvant encore. Voilà pourquoi, de toutes les destruc- tions qui se sont accomplies à cette époque, celle-là est la seule qu’il faille regretter. En dispersant les seuls groupes qui pus- sent rallier avec constance les volontés individuelles, nous avons brisé de nos propres mains l’instrument désigné de notre réor- ganisation morale. (1) Voir les raisons dans notre Division du travail social, L. II, ch. m, notamment, p. 335 et suiv.