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Page:Durkheim - Le Suicide, Alcan, 1897.djvu/51

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LE SUICIDE ET LES ÉTATS PSYCHOPATHIQUES.

vent. Les craintes qui hantent le sujet, les reproches qu’il se fait, les chagrins qu’il ressent sont toujours les mêmes. Si donc ce suicide est déterminé par des raisons imaginaires tout comme le précédent, il s’en distingue par son caractère chronique. Aussi est-il très tenace. Les malades de cette catégorie préparent avec calme leurs moyens d’exécution ; ils déploient même dans la poursuite de leur but une persévérance et, parfois, une astuce incroyables. Rien ne ressemble moins à cet esprit de suite que la perpétuelle instabilité du maniaque. Chez l’un, il n’y a que des bouffées passagères, sans causes durables, tandis que, chez l’autre, il y a un état constant qui est lié au caractère général du sujet.

III. Suicide obsessif. — Dans ce cas, le suicide n’est causé par aucun motif, ni réel ni imaginaire, mais seulement par l’idée fixe de la mort qui, sans raison représentable, s’est emparée souverainement de l’esprit du malade. Celui-ci est obsédé par le désir de se tuer, quoiqu’il sache parfaitement qu’il n’a aucun motif raisonnable de le faire. C’est un besoin instinctif sur lequel la réflexion et le raisonnement n’ont pas d’empire, analogue à ces besoins de voler, de tuer, d’incendier dont on a voulu faire autant de monomanies. Comme le sujet se rend compte du caractère absurde de son envie, il essaie d’abord de lutter. Mais tout le temps que dure cette résistance, il est triste, oppressé et ressent au creux épigastrique une anxiété qui augmente chaque jour. Pour cette raison, on a quelquefois donné à ce genre de suicide le nom de suicide anxieux. Voici la confession qu’un malade vint faire un jour à Brierre de Boismont et où cet état est parfaitement décrit : « Employé dans une maison de commerce, je m’acquitte convenablement des devoirs de ma profession, mais j’agis comme un automate et, lorsqu’on m’adresse la parole, elle me semble résonner dans le vide. Mon plus grand tourment provient de la pensée du suicide dont il m’est impossible de m’affranchir un instant. Il y a un an que je suis en butte à cette impulsion ; elle était d’abord peu prononcée ; depuis deux mois environ, elle me poursuit en tous lieux, je n’ai cependant aucun motif de me donner la mort… Ma