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Page:Durkheim - Le Suicide, Alcan, 1897.djvu/52

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LE SUICIDE.

santé est bonne ; personne dans ma famille n’a eu d’affection semblable ; je n’ai pas fait de pertes, mes appointements me suffisent et me permettent les plaisirs de mon âge[1] ». Mais dès que le malade a pris le parti de renoncer à la lutte, dès qu’il est résolu à se tuer, cette anxiété cesse et le calme revient. Si la tentative avorte, elle suffit parfois, quoique manquée, à apaiser pour un temps ce désir maladif. On dirait que le sujet a passé son envie.

IV. Suicide impulsif ou automatique. — Il n’est pas plus motivé que le précédent ; il n’a aucune raison d’être ni dans la réalité ni dans l’imagination du malade. Seulement, au lieu d’être produit par une idée fixe qui poursuit l’esprit pendant un temps plus ou moins long et qui ne s’empare que progressivement de la volonté, il résulte d’une impulsion brusque et immédiatement irrésistible. En un clin d’œil, elle surgit toute développée et suscite l’acte ou, tout au moins, un commencement d’exécution. Cette soudaineté rappelle ce que nous avons observé plus haut dans la manie ; seulement le suicide maniaque a toujours quelque raison, quoique déraisonnable. Il tient aux conceptions délirantes du sujet. Ici, au contraire, le penchant au suicide éclate et produit ses effets avec un véritable automatisme sans être précédé par aucun antécédent intellectuel. La vue d’un couteau, la promenade sur le bord d’un précipice etc., font naître instantanément l’idée du suicide et l’acte suit avec une telle rapidité que, souvent, les malades n’ont pas conscience de ce qui s’est passé. « Un homme cause tranquillement avec ses amis ; tout à coup, il s’élance, franchit un parapet et tombe dans l’eau. Retiré aussitôt, on lui demande les motifs de sa conduite ; il n’en sait rien, il a cédé à une force qui l’a entraîné malgré lui[2] ». « Ce qu’il y a de singulier, dit un autre, c’est qu’il m’est impossible de me rappeler la manière dont j’ai escaladé la croisée et quelle était l’idée qui me dominait alors ; car je n’avais nullement l’idée de me donner

  1. Suicide et folie-suicide, p. 397.
  2. Brierre, op. cit., p. 574.