Page:Durkheim - Les Formes élémentaires de la vie religieuse.djvu/296

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fondus de toutes les manières. Il n’est peut-être pas une religion ou le mana originel, qu’il soit unique ou plural, se soit résolu tout entier en un nombre bien défini d’êtres discrets et incommunicables les uns aux autres ; chacun d’eux garde toujours comme un nimbe d’impersonnalisme qui le rend apte à entrer dans des combinaisons nouvelles, et cela non par suite d’une simple survivance, mais parce qu’il est dans la nature des forces religieuses de ne pouvoir s’individualiser complètement.

Cette conception que nous a suggérée la seule étude du totémisme a, en outre, pour elle, que plusieurs savants y ont été récemment conduits au cours de recherches très différentes, et indépendamment les uns des autres. Il tend à se produire sur ce point une concordance spontanée qui mérite d’être remarquée, car elle est une présomption d’objectivité.

Dès 1899, nous montrions la nécessité de ne faire entrer dans la définition du fait religieux aucune notion de personnalité mythique[1]. En 1900, Marrett signalait l’existence d’une phase religieuse qu’il appelait préanimiste, et où les rites se seraient adressés à des forces impersonnelles, telles que le mana mélanésien ou le wakan des Omaha et des Dakota[2]. Toutefois, Marrett n’allait pas jusqu’à soutenir que, toujours et dans tous les cas, la notion d’esprit est logiquement ou chronologiquement postérieure à celle de mana et en est dérivée ; il paraissait même disposé à admettre qu’elle s’est parfois constituée d’une manière indépendante et que, par suite, la pensée religieuse découle d’une double source[3]. D’autre part, il concevait le mana comme une propriété inhérente aux choses, comme un

  1. Définition du phénomène religieux, in Année sociol., II, p. 14-16.
  2. Preanimistic Religion, in Folk-lore, 1900, p. 162-182.
  3. Ibid., p. 179. Dans un travail plus récent, The Conception of Mana (in Transactions of the third International Congress for the History of Religions, II, p. 54 et suiv.), Marrett tend à subordonner davantage la conception animiste à la notion de mana. Cependant, sa pensée reste encore, sur ce point, hésitante et très réservée.