Page:Durkheim - Les Formes élémentaires de la vie religieuse.djvu/297

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élément de leur physionomie ; car, suivant lui, ce serait tout simplement le caractère que nous attribuons à tout ce qui passe l’ordinaire, à tout ce qui nous inspire un sentiment de crainte ou d’admiration[1]. C’était presque revenir à la théorie naturiste[2].

Peu de temps après, MM. Hubert et Mauss, entreprenant de faire une théorie générale de la magie, établissaient que la magie tout entière repose sur la notion de mana[3]. Étant donnée l’étroite parenté du rite religieux, on pouvait prévoir que la même théorie devait être applicable à la religion. C’est ce que soutint Preuss dans une série d’articles parus dans le Globus[4] la même année. S’appuyant sur des faits empruntés de préférence aux civilisations américaines, Preuss s’attacha à démontrer que les idées d’âme et d’esprit ne se sont constituées qu’après celles de pouvoir et de force impersonnelle, que les premières ne sont qu’une transformation des secondes et qu’elles gardent, jusqu’à une époque relativement tardive, la marque de leur impersonnalité première. Il fit voir, en effet, que, même dans des religions avancées, on se les représente sous la forme de vagues effluves qui se dégagent automatiquement des choses dans lesquelles elles résident, qui tendent même parfois à s’en échapper par toutes les voies qui leur sont ouvertes : la bouche, le nez, tous les orifices du corps, l’haleine, le regard, la parole, etc. En même temps, Preuss montrait tout ce qu’elles ont de protéimorphe, l’extrême plasticité qui leur permet de se prêter successivement et presque concurremment aux

  1. Ibid., p. 168.
  2. Ce retour du préanimisme au naturisme est encore plus accusé dans une communication de Clodd au IIIe Congrès de l’Histoire des Religions (Preanimistic Stages in Religion, in Transactions of the third Internal. Congress, etc., I, p. 33).
  3. Année sociologique, t. VII, p. 108 et suiv.
  4. Der Ursprung der Religion und Kunst, in Globus, 1904, t. LXXXVI, p. 321, 355, 376, 389 ; 1905, t. LXXXVII, p. 333, 347, 380, 394, 413.