Page:Durkheim - Les Formes élémentaires de la vie religieuse.djvu/50

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hommes ; cette qualification convient donc aux âmes des morts, aux génies, aux démons aussi bien qu’aux divinités proprement dites. — Il importe de noter tout de suite la conception particulière de la religion qui est impliquée dans cette définition. Le seul commerce que nous puissions entretenir avec des êtres de cette sorte se trouve déterminé par la nature qui leur est attribuée. Ce sont des êtres conscients ; nous ne pouvons donc agir sur eux que comme on agit sur des consciences en général, c’est-à-dire par des procédés psychologiques, en tâchant de les convaincre ou de les émouvoir soit à l’aide de paroles (invocations, prières), soit par des offrandes et des sacrifices. Et puisque la religion aurait pour objet de régler nos rapports avec ces êtres spéciaux, il ne pourrait y avoir religion que là où il y a prières, sacrifices, rites propitiatoires, etc. On aurait ainsi un critère très simple qui permettrait de distinguer ce qui est religieux de ce qui ne l’est pas. C’est à ce critère que se réfère systématiquement Frazer[1] et, avec lui, plusieurs ethnographes[2].

Mais si évidente que puisse paraître cette définition par suite d’habitudes d’esprit que nous devons à notre éducation religieuse, il y a nombre de faits auxquels elle n’est pas applicable et qui ressortissent pourtant au domaine de la religion.

En premier lieu, il existe de grandes religions d’où l’idée de dieux et d’esprits est absente, où, tout au moins, elle ne joue qu’un rôle secondaire et effacé. C’est le cas du bouddhisme. Le bouddhisme, dit Burnouf, « se place, en opposition au brahmanisme, comme une morale sans dieu et un athéisme sans Nature[3] ». « Il ne reconnaît

  1. Dès la première édition du Golden Bough, I, p. 30-32.
  2. Notamment Spencer et Gillen et même Preuss qui appellent magiques toutes les forces religieuses non individualisées.
  3. Burnouf, Introduction à l’histoire du bouddhisme indien, 2e éd., p. 464. Le dernier mot du texte signifie que le bouddhisme n’admet même pas l’existence d’une Nature éternelle.