Page:Durkheim - Les Formes élémentaires de la vie religieuse.djvu/589

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doute, dans ces deux derniers cas, il n’y a ni blessures, ni coups, ni souffrances physiques d’aucune sorte ; cependant, le rite ne diffère pas en nature des précédents : il s’agit toujours de détourner un mal ou d’expier une faute au moyen d’une prestation rituelle extraordinaire.

Tels sont, en dehors du deuil, les seuls cas de rites piaculaires que nous ayons réussi à relever en Australie. Il est probable, il est vrai, que certains ont dû nous échapper et on peut présumer également que d’autres sont restés inaperçus des observateurs. Cependant, si les seuls que l’on ait découverts jusqu’à présent sont en petit nombre, c’est vraisemblablement qu’ils ne tiennent pas une grande place dans le culte. On voit combien il s’en faut que les religions primitives soient filles de l’angoisse et de la crainte, puisque les rites qui traduisent des émotions douloureuses y sont relativement rares. C’est, sans doute, que, si l’Australien mène une existence misérable, comparée à celle des peuples plus civilisés, en revanche, il demande si peu de choses à la vie qu’il se contente à peu de frais. Tout ce qu’il lui faut, c’est que la nature suive son cours normal, que les saisons se succèdent régulièrement, que la pluie tombe, à l’époque ordinaire, en abondance et sans excès ; or les grandes perturbations dans l’ordre cosmique sont toujours exceptionnelles. Aussi a-t-on pu remarquer que la plupart des rites piaculaires réguliers dont nous avons plus haut rapporté des exemples ont été observés dans les tribus du centre où les sécheresses sont fréquentes et constituent de véritables désastres. Il reste, il est vrai, surprenant que les rites piaculaires qui sont spécialement destinés à expier le péché semblent faire presque complètement défaut. Cependant l’Australien, comme tout homme, doit commettre des fautes rituelles qu’il a intérêt à racheter ; on peut donc se demander si le silence des textes sur ce point n’est pas imputable aux insuffisances de l’observation.

Mais, si peu nombreux que soient les faits qu’il nous a été possible de recueillir, ils ne laissent pas d’être instructifs.