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de vue de son gouvernement. L’Allemagne estime, dit-il, que la question ne concerne que l’Autriche et la Serbie ; elle doit donc être réglée entre ces deux pays. Toute intervention d’une autre puissance provoquerait, « par le jeu des alliances, des conséquences incalculables[1] ». C’était refuser à la Russie le droit d’intervenir[2]. Or, tout le monde savait bien qu’une complète abstention de la Russie était moralement et politiquement impossible. Entre le peuple russe et la nation serbe, il existe des liens étroits, qui tiennent aussi bien à la fraternité ethnique qu’à une communauté de souvenirs historiques. Protectrice naturelle et traditionnelle des sociétés slaves, la grande Russie ne pouvait laisser la petite Serbie sans défense. D’ailleurs, il y allait pour elle d’intérêts vitaux : car la Serbie vaincue, tombée sous la suzeraineté de l’Autriche, c’était l’équilibre des Balkans troublé au profit de cette dernière[3]. « La domination de l’Autriche sur la Serbie, dit un jour M. Sazonoff, le Ministre russe des Affaires étrangères, est aussi intolérable pour la Russie que le serait, pour l’Angleterre, la domination de l’Allemagne sur les Pays-Bas. C’est pour la Russie, une question de vie ou de mort »[4]. Par dessus la Serbie, la Russie était donc visée et atteinte par l’ultimatum, et la question, telle que la posait l’Allemagne, pouvait s’énoncer ainsi : ou l’humiliation et la diminution morale de la Russie ou la guerre.

Les autres Puissances se trouvèrent unanimes pour voir, dans l’ultimatum, un scandale juridique et diplomatique. On n’a jamais vu, dit Sir Ed. Grey « un État adresser à un autre État indépendant un document d’un caractère aussi formi-

  1. L. J., no 28.
  2. Le lendemain, il est vrai, M. de Schoen protesta que sa communication n’avait rien de comminatoire (L. J., no 36). Le même jour, à Londres, l’ambassadeur d’Autriche expliqua à Sir Ed. Grey que la note autrichienne n’était pas un ultimatum, mais « une démarche avec une limite de temps » (Cor. B., no 14), et qu’il n’était question que de préparatifs militaires, non d’opérations ». Ces protestations verbales, que l’événement allait démentir, n’étaient qu’un moyen d’endormir l’inquiétude et de ralentir l’activité des Puissances.
  3. Cor. B., no 97.
  4. Cor. B., no 139.