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Page:Duval-Thibault - Les deux testaments, 1888.djvu/64

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LES DEUX TESTAMENTS

d’air et de liberté, qu’elle semble incommode et dangereuse.

C’est qu’elle ne refuse jamais de passagers ; au contraire, elle les inviterait plutôt, quand même elle en aurait déjà une centaine.

Stationnant une heure ou deux sur la rue du Pont, elle absorbe lentement, hommes, femmes, enfants, bagages, paniers, jusques à l’heure du départ.

Alors, s’ébranlant péniblement avec des craquements sinistres qui semblent annoncer un prochain effondrement, la lourde masse se met en mouvement, et poursuit son chemin en cahotant d’importance et en bousculant cruellement les malheureux passagers dont bon nombre sont atteints du mal de mer après une demi-heure de ce trajet charmant.

Cependant, pour ceux qui ont le bonheur de ne pas se sentir incommodés par ce rude balancement, le voyage ne manque pas d’un certain attrait.

D’abord le paysage est charmant. La route suit, tantôt de loin, tantôt de près, le bord du fleuve dont les rives opposées apparaissent verdoyantes et gracieuses dans le lointain.

Bientôt un bout de l’Île}} d’Orléans, fraîche oasis des eaux, se montre à l’œil enchanté et vient compléter l’ensemble de ce tableau ravissant.

Joint à ce panorama pittoresque qui se déroule au loin, la beauté plus rapprochée des grandes prairies, des massifs d’arbres verts, et des blanches et coquettes maisons, entourées de fleurs et de verdure, qui se succèdent alternativement le long de la route, et les parfums délicieux des trèfles épanouis, au printemps, où les suaves émanations des foins murs en été, se combinent pour remplir le cœur et l’âme d’un sentiment tout de gratitude et de bonheur, un sentiment qui pourrait s’exprimer ainsi :

Mon Dieu, qu’il est beau et noble, le pays que vous nous avez donné, et comme nous devons être fiers et heureux d’être Canadiens.

La poésie de Crémazie :

« Qu’il fait bon d’être Canadien. »

revient alors à l’esprit et l’on se sent rempli de pitié pour ce pauvre poète malheureux, condamné par sa triste destinée à mourir loin des rives du beau fleuve canadien.

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

Outre la jouissance des beautés du paysage le trajet offre encore une autre particularité qui n’est certes pas à dédaigner ; c’est celle d’entendre causer librement, sans aucune espèce de contrainte, les habitués de la diligence qui représentent