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MERLIN L’ENCHANTEUR.

de voir le jour ; laissez-moi mourir. Je ne mérite plus de vous suivre.

— Ta chute est grande, assurément, et ce n’est pas à moi de te la dissimuler ; pourtant elle n’est pas sans espoir ; fasse le ciel qu’elle ne se renouvelle pas !

— Oh ! pour cela, je le jure ! m’narmes !

— Ne jure pas, même en patois, pauvre Jacques ! Ton défaut a toujours été de passer trop vite de l’extrême découragement à l’extrême confiance.

— Eh bien, je vous le disais, il n’y a qu’à se noyer.

— Non, Jacques, il reste à vivre en honnête homme qui se souvient du mal pour pratiquer le bien. Sache donc, mon fils, que je ne l’ai point adopté pour t’abandonner sitôt. Hélas ! tu auras longtemps encore besoin de moi. Mais, d’abord, quittons ces lieux déserts, fiévreux, qui ne sont pas bons pour toi et où jamais Viviane n’a habité. »

Jacques, avec la facilité de changement qui était le fond de son caractère, avait déjà essuyé ses pleurs. À peine avait-il fait une lieue, qu’il avait rouvert son cœur à des espérances sans bornes. Merlin ne voulut point le rejeter dans les larmes, et c’est en gardant tous les deux le silence qu’ils traversèrent la campagne de Rome et perdirent de vue la ville de Saint-Pierre.

Tout était morne dans le vaste horizon, où rien n’a été changé depuis cette heure fatale. Vous diriez encore aujourd’hui que l’enchanteur vient d’en sortir, tant la stupeur est grande. Au loin, la terre est restée déserte.