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LIVRE XVI.

— À force de patience, mon fils, » répondait le vieillard ; puis il ajoutait :

« Les Romains sont ceux qui m’ont donné le plus de peine. Longtemps j’ai cru que je serais obligé de les renvoyer de l’abbaye. Maintes fois je leur en ai fait la menace. L’abstinence complète à laquelle je les ai réduits est venue à mon aide. Ils avaient l’habitude de commander. J’ai dû leur apprendre à oublier qu’ils avaient régné. Tout cela ne se fait pas en un jour.

— Que ne venez-vous avec moi en Occident, mon père ? On y a les idées les plus fausses sur ce qui vous concerne.

— Je le sais, Merlin. Mon temps n’est pas encore venu ; vous m’y précéderez. »

Si Merlin admirait la concorde qui régnait dans l’abbaye, il en était tout autrement de Jacques, Cette paix profonde le scandalisait chaque jour davantage. Il ne put s’empêcher d’éclater au retour d’une cérémonie où le prêtre Jean avait expliqué lui-même les Védas aux Brahmanes, les Izeds aux Sabéens, le Coran aux musulmans, le Talmud aux juifs, l’Évangile aux chrétiens, le catéchisme aux Romains.

« Horreur ! s’écriait-il. Si, du moins, les chrétiens faisaient ici la guerre aux hérétiques ! s’ils couraient sus, la dague au poing, les uns contre les autres ! Mais non ; bons compagnons, sans soucis ni rancunes, ils vivent en frères, ils officient, ils prient, ils adorent tous ensemble : n’est-ce pas là l’entrée de l’enfer ? Je ne sais ce qui me retient d’aller arracher son turban et son