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LIVRE XVI.

chéries où nous avons connu la félicité et d’où nous avons été précipités par une faute commune !

— Qui êtes-vous, leur répondis-je, pour regretter avec tant d’amour ces lieux où personne n’habite ?

— Ces lieux, repartit le vieillard, n’ont pas toujours été aussi déserts. Mon nom est arrivé jusqu’à toi, mon fils ; car, qui que tu puisses être, je suis ton père, et voici ta mère Ève qui pleure à mes côtés. Chaque siècle nous venons à pareil jour respirer le parfum de cet Éden sans oser en franchir la barrière. Le parfum des jours anciens nous fait renaître ; nous y puisons la force de supporter notre éternel labeur. »

Alors celle qui avait gardé le silence le rompit à son tour :

« Ô mon fils, me dit-elle, puisque tu as pu pénétrer dans ces lieux, qui devaient être notre héritage, apprends-moi si tu y as retrouvé quelques traces de la félicité passée ? As-tu revu notre première demeure ? Les fleurs se marient-elles encore aux fleurs sur la couche nuptiale où je reçus la première parole de celui qui m’accompagne dans la douleur, après m’avoir accompagnée dans la béatitude ? La même odeur d’encens s’exhale-t-elle de l’arbre résineux ? Les cascades de délices s’échappent-elles encore des bassins où je vis pour la première fois mon visage ? L’arbre funeste, aux fruits d’or, que je ne peux nommer… »

Elle allait continuer ; mais une rougeur subite couvrit son visage ; et, tombant dans les bras de son compagnon, elle cacha sa honte. Tous deux pleurèrent en même