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MERLIN L’ENCHANTEUR.

Ne perdons pas le bonheur pour la vaine gloire de le poursuivre sans cesse.

Que gagnes-tu, dis-moi, à cette fuite perpétuelle ? N’espère pas, au moins, lasser mon cœur. Je ne rencontre pas ici une reine, une sultane ou même une bayadère cachée sous son voile, sans m’informer des chameliers si ce n’est pas toi qui me fuis et m’appelles en même temps : curiosité pleine de difficultés et même de dangers dans un pays où il y va de la vie pour la moindre indiscrétion. J’ai quelquefois parcouru ainsi des royaumes entiers, entraîné par deux yeux qui avaient quelque ressemblance avec les tiens. Figure-toi ce que j’éprouvais lorsque après avoir suivi, d’oasis en oasis, l’image adorée, je la voyais tout à coup disparaître dans un harem ou dans un marché d’esclaves ; heureux encore quand je pouvais l’y suivre et l’acheter moi-même !

Les péris, les apsaras, qui sont très-malicieuses dans ce pays, connaissent fort bien ma détresse ; elles en abusent cruellement, jusqu’à me donner le vertige. Il n’y a pas longtemps, j’en rencontrai une à travers des prairies bordées de fleurs de malatis. La taille, le port, la démarche… c’était toi ! Un serpent familier, bleu de ciel, la précédait à la distance de quinze pas. Elle allait du côté du golfe de Golconde, chantant à demi-voix cet air que tu connais si bien : « Merlin, Merlin ! » Je la suis, j’approche. Elle s’éloigne. Je tends les bras, j’appelle. Enfin j’arrive. Elle lève son voile. Grand Dieu ! quel visage éblouissant de tous les feux