Page:E. Quinet - Merlin l'Enchanteur tome 2, 1860.djvu/146

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
142
MERLIN L’ENCHANTEUR.

Pendant qu’il parlait, Merlin jetait dans la mer une rame, un aviron, trois touffes de nymphæa qu’il venait d’arracher, son vieux bâton d’enchanteur, une gourde de pèlerin, et il souffla sur la face des eaux dans la direction du couchant.

« Maintenant, ajouta-t-il, la route est tracée ; vienne le pèlerin ! »

Comme on dresse aujourd’hui des pigeons qui portent en une heure, de Paris ou de Londres en Hollande, non plus des lettres ailées d’amour, mais le lourd Banknote de la place, Merlin avait, dès ce temps-là, dressé des nichées d’oiseaux qui allaient et revenaient sans cesse des promontoires les plus avancés de l’Atlantide aux rivages d’Europe. Ils apportaient incessamment sur leurs ailes les messages des solitudes ignorées. Mais personne n’y faisait la moindre attention. Une de ces bandes vint à passer à tire-d’aile.

« Voilà, sire, vos ambassadeurs, » dit Merlin.

Le roi était visiblement ébranlé. Peu s’en fallut qu’il ne donnât l’ordre d’obéir à l’avis du prophète. Mais un de ses conseillers, qui craignait le mal de mer, s’approcha de lui et lui dit à l’oreille :

« Sire, écouterez-vous ces visionnaires, ces poëtes, la peste des États ? Voulez-vous qu’on dise un jour : « Le sage Alifantina a quitté les Espagnes pour conquérir un royaume de vapeurs ? »

Le roi, qui ne craignait rien au monde, avait peur du ridicule ; l’observation du conseiller le décida à entrer à Cadix, non pas sans avoir ordonné qu’il fût fait men-