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MERLIN L’ENCHANTEUR.

et d’Orient. Pourtant, grâce à la misère et à la nudité de mon peuple, je crois mériter l’honneur qu’ils m’ont fait de me placer au rang des bons esprits des ruines. »

Puis, montrant de la main les âniers qui défilaient avec une majesté souveraine, il ajoutait :

« Ils chantent, il est vrai ; ils ont le port superbe ; mais ne vous laissez pas abuser par l’apparence. Je vous assure que sous leurs manteaux ils sont presque aussi nus que les peuples rassemblés à Némée. Pour la sobriété, elle est la même, sauf une gousse d’ail, que j’ai autorisée dernièrement dans mes États.

— De grâce, sire, pourquoi Votre Majesté met-elle son honneur à être confondue avec les esprits des ruines ? La nature s’y oppose. Quel avantage trouvez-vous à imiter la décadence qui chez les autres est l’œuvre de la fatalité ?

— Je te l’avouerai, Merlin, tu touches en ce moment à la plaie la plus secrète de mon cœur. Dans ce désir d’imiter les esprits des ruines il peut y avoir quelque faiblesse. Je tiens à faire partie de ces familles vénérables qui siégent solitairement sur les débris. C’est là ce que je convoite avec orgueil. Je me croirais déchu si elles m’excluaient de leur parenté. Voilà pourquoi, Merlin, je contrefais autant qu’il est en moi la décrépitude des empires que tu viens de visiter. Ne pouvant les égaler par la majesté des cités en poussière, je prends, comme tu le vois, ma revanche sur mes peuples, que je crois avoir amenés sur la pente des ombres. »

Merlin se garda de contredire ouvertement le roi.