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MERLIN L’ENCHANTEUR.

temps mes robustes espérances. Incertain, je me disais tout cela, et dans le même moment je pensais aux îles Heureuses qui sont précisément en face, dont tout le monde parle, où personne n’a abordé, pas même toi, qui m’invites à t’y chercher. Comme mes regards erraient au bout de l’horizon, j’entendis de l’autre côté de l’Océan le soupir d’un monde qui s’éveillait. Ce ne fut d’abord qu’un soupir, puis un chuchotement des flots, puis une voix à peine articulée, toute tiède des parfums de l’immensité virginale. Elle disait :

« M’entends-tu ?

— Oui, répondis-je. Je t’entends, mais l’infini me sépare de toi !

— Viens à moi ! reprit la voix partie des extrémités de l’univers et que je crus reconnaître pour la tienne.

— Es-tu dans les îles Fortunées ?

— Plus loin !

— Dans l’Atlantide ?

— Plus loin, dans un monde nouveau. Viens, Merlin, je l’appelle ! »

Cette conversation de deux âmes, à travers l’Océan, ne fut entendue que de l’abîme.

Au dernier mot je n’hésitai pas davantage à aller te rejoindre par delà tous les mondes connus. Je me fis une petite barque, mal pontée, munie de deux rames, bonne marcheuse, sur le modèle de celle que nous avons vue ensemble dans le chantier de Gulliver. T’en souviens-tu ? Dès qu’elle fut prête, je partis le cœur ivre de joie, d’espoir, poussé par une brise de terre, enflée de