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LIVRE XVII.

l’haleine des orangers, qui se leva à ce moment même, des côtes d’Andalousie.

La route est très-facile, il suffit de se diriger constamment au Ponant. Des bandes de procéllarias, de frégates, d’orfraies, d’albatros et quelques alcyons qui volaient devant moi me montraient le chemin, si bien qu’il était impossible de se tromper.

Que de rêves, Viviane, m’assaillirent pendant cette traversée solitaire ! De loin à loin, une baleine apparaissait, comme un récif, en lançant jusqu’au ciel une colonne d’eau ; quelquefois un peu d’herbe arrachée, ou mon bâton flottant, ou un tronc d’arbre annonçaient la terre. Puis, de nouveau, le désert, l’immensité sans bornes. Tel est le spectacle que j’eus constamment sous les yeux. Des vagues noires se croisaient et se soulevaient autour de moi. Je suivais leurs vallées profondes en soufflant sur la mer lorsque la tempête était trop forte, et la mer s’apaisait. Cependant, je me demandais pourquoi tu n’étais pas là avec moi dans cet esquif, et s’il est vrai qu’il existe des îles Heureuses. « Sans doute, m’écriais-je avec un soupir, c’est là un des mille mensonges dont les hommes bercent leur triste vie ! Que deviendraient-ils s’ils ne se trompaient eux-mêmes ? »

Voilà avec quelles pensées, deux mois, jour pour jour, après m’être embarqué, un lundi, à cinq heures de relevée, j’abordai une terre inconnue, basse, plantureuse, qui forme à elle seule tout un nouveau continent. Quel moment, Viviane ! La voile était carguée et j’avais