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MERLIN L’ENCHANTEUR.

laissé tomber la rame ; mais la marée montante me poussait vers une plage unie. Le soleil se levait. Figure-toi un autre univers qui émerge à mes yeux, du fond de l’abîme, à mesure que j’approche. Ton haleine peut seule donner l’idée de l’haleine embaumée de ce monde naissant.

C’était peut-être le premier jour qui eût lui sur ce continent emparadisé ; car la première rosée n’était pas encore essuyée sur la chevelure des vastes forêts, malgré le souffle tiède de l’aurore qui commençait à poindre. Je pris possession de cette terre en prononçant ton nom ; à mesure que je m’enfonçais dans les bois, où nul homme, que je sache, n’avait encore pénétré, je m’imaginais que tu étais la reine de ces lieux, et je cherchais d’abord ton trône virginal au milieu de lianes inextricables. Là dormaient encore, du sommeil du chaos, de grands condors et des oiseaux-mouches, les uns à côté des autres sur la même branche, la tête pliée sous leurs ailes. J’appelai et j’eus quelque peine à les réveiller, tant ils étaient plongés dans un songe profond. Il en fut de même des fleurs que je rencontrai. Je dus moi-même ouvrir les calices et les courtines diaprées de mille couleurs qui leur voilaient le jour nouveau. Elles me remercièrent par leur premier sourire.

Dans le silence de toutes choses je m’arrêtai, un doigt sur la bouche, et me recueillis pour mieux entendre le secret de ce monde naissant. Fier d’en connaître seul l’existence, j’étais impatient de t’en parler. Toi et moi,