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LIVRE XVII.

l’isolement, rassure-toi, je me sens assez d’amour pour remplir l’immensité nouvelle. Déjà j’ai réglé l’emploi de nos journées. Nous nous éveillons au cri des colibris, auxquels j’ai appris à répéter, de leurs petites voix perçantes : Viviane ! Viviane ! Les premières heures se passent à apprivoiser des vigognes, des lamas, qui mangeront dans ta main au bout de quelques jours. Nous parcourons nos domaines ; s’il se rencontre un torrent, je te fais un pont de lianes et je te vois passer sur des arcades de fleurs. Quant aux fleuves, tu les traverses dans une pirogue de bois de liége, qui, heureusement, abonde dans ces contrées. Pour les bêtes fauves, n’en aie aucune peur. Les lions sont ici sans crinière, et si j’en juge par l’apparence, tu les dompteras d’un regard. Au besoin, nous allumons un feu de bois d’aloès.

Posséder pour nous seuls un monde entier (et, quand j’y songe, ce n’est pas trop pour un si grand amour), n’y rencontrer que nous, y vivre loin des médisances de l’univers vieilli, nous y rajeunir chaque jour de la jeunesse des choses, ne plus rien attendre de celles qui passent, laisser le vieil abîme aux vieux magiciens, nous abreuver à la source des aurores inconnues, trouver partout la liberté que j’aime presque autant que l’amour, entendre le Niagara se précipiter d’une fuite éternelle dans l’éternel repos, épier les dialogues des perles et des diamants au bord des îles Heureuses, cueillir en tout les prémices d’une terre nouvelle, dis-moi, Viviane, ce projet ne te transporte-t-il pas de joie ? Pour moi, j’en