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LIVRE XVIII.

Plus de ces épées enchantées qui éblouissent le monde et l’asservissent en l’aveuglant ! plus de ces fantômes de chevalerie dont vous avez rempli les cœurs. Plus de ces livres magiques qui vous ont, à vous-même, coûté tant de larmes.

Au nom du ciel, plus de ces messages de feu qui, sur l’aile d’un mot, font rêver tout un jour et le lendemain encore une jeune fille dans les carrefours des bois. Entre nous, bon an, mal an, que gagnez-vous à ce travail ? Des pleurs, m’a-t-on dit, et souvent des blasphèmes. Une vie bien réglée, un peu d’agriculture, de commerce, de sages épargnes, quelques lettres de change (c’est aussi là un grimoire enchanté), non pas un trésor, mais un honnête avoir, voilà, Merlin, ce que j’attends de vous.

Je prévois le moment où la profession d’enchanteur ne nourrira plus personne. Que ferez-vous alors ? Il ne faudrait pourtant pas que Viviane allât mendier son pain. Savez-vous qu’un enchanteur, sorti de l’Olympe, privé d’ambroisie, peut fort bien mourir de faim, lui et les siens. Hélas ! Merlin, je vous parle raison ; croyez-moi, il le faut.

Moi aussi, Diane de Sicile, j’ai cru un jour à la poésie (et c’était, ne vous en déplaise, sur la foi de Phébus-Apollon). J’ai cru aux cieux d’azur rassasiés d’encens, aux flots de nectar intarissables, aux chasses éternellement giboyeuses sur des nuages d’or, et j’avais, certes, mille raisons d’y croire.

Qu’est devenu ce beau rêve de jeunesse ? Demandez-le