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LIVRE XVIII.

baumées des roses et des jasmins, sous mon tocador ? Sans vous, ô Merlin, le palais sera comme le rêve sans l’interprète. Hélas ! il me semble que ces murailles d’albâtre ne sont plus qu’un édifice de songes, et tout va s’écrouler, sans doute, quand vous aurez franchi le seuil. Vous m’aviez fait entrer dans la vie, moi, fille des esprits des ruines. Je crains, si vous me quittez, de m’exhaler moi-même aux rayons du soleil, comme la vapeur de ces jets d’eau qu’emporte la folle brise trempée des larmes du réséda. Déjà je vois la triste bruyère s’asseoir, dans la Véga, à votre place. »

Ces discours pleins de séduction, de sagesse, ces offres, ces regrets, ces larmes royales, tout fut inutile. Merlin s’obstina à partir.

Quand le jour du départ fut fixé, toutes les femmes d’Espagne se revêtirent tristement de longues mantilles noires. Merlin leur demandait :

« Pourquoi êtes-vous vêtues de deuil ? »

Elles répondaient :

« À cause du départ de Merlin. »

Il reprenait :

« Votre beauté n’y perdra rien. Vos fronts de marbre, vos yeux de flamme étincelleront davantage sous ce long manteau noir.

— Sans vous, Merlin, nous ne saurions sourire. »

Et il est de fait que, depuis le départ de Merlin, les Espagnes sont restées attristées, au point qu’il serait difficile de les reconnaître. Partout des bruyères, la solitude, le silence.