Page:E. Quinet - Merlin l'Enchanteur tome 2, 1860.djvu/207

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
203
LIVRE XIX.

Merlin le don des enchantements ; au contraire, elle avait retrempé sa puissance, comme on l’a vu dans le cours de ses pèlerinages. Mais dès que la crainte d’être dupe s’insinua dans son esprit, chaque jour le dépouilla d’une partie de ses dons. Il arriva même au point de faiblesse par lequel il avait commencé, c’est-à-dire qu’il lui eût été difficile de plier un brin d’herbe par sa seule volonté.

Il est vrai que le monde ne savait rien encore de l’impuissance où son enchanteur se trouvait peu à peu réduit ; et celui-ci eut la faiblesse de vivre sur son ancienne renommée, sans oser confier à personne qu’il n’était plus en état de la soutenir. Sans doute il eût mieux fait de dire franchement à la terre et aux peuples : « Je ne suis plus celui que vous avez connu ; cherchez un autre enchanteur. »

Cela eût été assurément plus digne, mais il recula devant cet aveu, qu’il jugea tout ensemble inutile et funeste. Dieu merci, ses enchantements avaient été répandus, sans avarice, sur le berceau des nations. Qu’avait-il besoin de recommencer ? Était-il donc nécessaire d’avertir tous les mondes que le charme avait cessé ? Où était l’avantage ? Quant à l’inconvénient, il était, certes, assez manifeste. N’était-ce pas attrister vainement la terre et le ciel ?

Songez donc, je vous prie, combien d’êtres, et des meilleurs, vivaient en paix sur sa seule parole ! Pouvait-on savoir ce que produirait de confusion ce seul mot prononcé clairement : Merlin est désenchanté ! Il