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LIVRE XIX.

à peine du pied les larges feuilles flottantes des nénufars :

« Mes chers amis, dit une petite voix flûtée qui semblait partir des roseaux, croyez-en Farfarel. La fortune de notre maître Merlin baisse évidemment ; il n’a plus, je vous assure, le moindre crédit sur les éléments et sur les étoiles. Nous, ses anciens serviteurs, nous ferons bien de le quitter avant qu’il soit entièrement ruiné. Pour moi, je suis décidé à lui désobéir au premier ordre qu’il me donnera demain à son lever. Je serai congédié, chassé, je le sais. Eh ! tant mieux ! Sur mon honneur, c’est tout ce que je demande.

— Que Merlin baisse, reprit Brin d’herbe d’or, rien n’est plus clair. C’est une ruine lézardée qui va crouler. Je vais d’ici chercher un autre maître.

— D’accord ! ajouta Serpentin en rallumant sa torche. Il est pourtant honteux, avouons-le, d’abandonner ainsi un prophète parce qu’il n’a plus pour lui les heureux sorts. Nous allons nous déshonorer !

— Quel radotage pour un esprit follet ! reprit la première voix. Partons, vous dis-je, et qu’à son réveil il ne trouve pas même un gnome complaisant pour lui cueillir un simple dans les bois. Ah ! ah ! ah ! Oh ! oh ! oh ! Ah ! chers amis, le fou rire me prend en pensant à la figure de ce pauvre Merlin quand il se réveillera seul dans le monde. Quel dépit ! quelle colère ! Mon Dieu ! pourtant, ce n’était pas un méchant enchanteur. »

Un rire aigu, sifflant, soutenu de huées, parcourut l’étang desséché ; les voix recommencèrent :