Page:E. Quinet - Merlin l'Enchanteur tome 2, 1860.djvu/219

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
215
LIVRE XIX.

pleurent et les reines ont pris leurs habits de deuil.

— Courons les assister, s’il en est temps encore, » répondit Merlin que l’angoisse commençait à saisir.

Dès qu’ils eurent rejoint le cortége, ils s’arrêtèrent ; l’archevêque de Brice, au nom des dynasties qui le suivaient, prit la parole en gémissant :

« Merlin, béni soit l’Homme-Dieu qui vous ramène par la main ! Sinon, c’était fait de nous, de nos royaumes.

— Arthus vous soit en aide !

— Il se meurt.

— Et ma table ronde[I.] ?

— Brisée.

— Par qui ?

— Par notre faute à tous. À peine, Merlin, aviez-vous disparu, Viviane a dit au roi : « Arthus, ta renommée était grande ; elle est perdue, Merlin est parti, et avec lui, ta joie, ta fortune et ton espoir. »

« Aussitôt, en effet, les couronnes des rois ont commencé à trembler sur leurs têtes, et les tables à chanceler sur leurs pieds d’airain. Les peuples que vous aviez laissés si débonnaires, assis à nos côtés, buvant à notre coupe, sont entrés en fureur ; affamés, ils ont commencé de nous lapider avec les pierres de la table ronde. Et si nous demandions : « Beaux fils, pourquoi êtes-vous en fureur ? » ils répondaient : « Parce que Merlin ne vous protège plus. » Ô deuil plus grand que le deuil de Camlan ! Mais leur colère les a mal inspirés et maintenant la mélancolie les ronge.