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MERLIN L’ENCHANTEUR.

« Beau roi de l’avenir, lui dit-il, voici le jour. Là-bas, dans le verger fleuri, les feuilles d’églantier frissonnent sur la haie ; le merle gazouille ; le flot scintille ; la pâquerette dans les prés et la marjolaine ont essuyé leurs larmes de rosée, et le coq a dit aussi trois fois : Voici le jour ! »

Mais Arthus se contenta, comme il avait coutume, de soupirer d’un long soupir ; et, se retournant sur le côté, il parut encore une fois de marbre. Ce que voyant, Merlin se sentit pris d’une grande épouvante, comme s’il eût commis un meurtre, et il ne savait qu’imaginer pour s’en défendre ; car il se disait à lui-même :

« Mes enchantements sont-ils donc devenus des enchantements de mort ? Voici le plus beau des rois qu’il est impossible de tirer de l’engourdissement où je l’ai plongé ; et avec lui tout un monde, celui que j’ai connu dans ma verte jeunesse, s’est pris à dormir du même sommeil de pierre. »

Pour les vieillards, passe encore de dormir ! Mais il se faisait conscience d’avoir assoupi du long sommeil, à la fleur de l’âge, tant de charmantes personnes, la plupart fiancées et promises, ou mariées d’hier à peine, lesquelles s’étaient fiées à sa parole et avaient pris le linceul, comme on prend une robe de noce. Qu’il parvînt à les réveiller, c’est un point qu’il ne mettait pas en doute. Mais le moment, quand viendrait-il ? Aujourd’hui, ou demain, ou plus tard ? Voilà ce qu’il ne pouvait affirmer. Cela pouvait durer une année, peut-être davantage. Il n’en fallait pas tant pour troubler