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MERLIN L’ENCHANTEUR.

Quand les nations en tumulte entendirent ces paroles, rien n’égala leur confusion. Pour Merlin, il vit clairement que c’était fait de tout un monde ; il prit le deuil et perdit la sérénité et l’enjouement qu’il avait su conserver jusque-là.

S’oubliant lui-même, loin des cités, nourri de glands, faisant du loup son compagnon, il ne se plaisait plus à vivre que dans la société des fantômes. Fit silvester Homo !

II

Peu de jours après, des lamentations retentirent dans le grand bois du roi, où Merlin s’était retiré, non loin de la chartreuse de Seillon. Elles partaient du chef des ermites, frère Ogrin, qui avait vécu jusqu’à ce jour très-solitaire, le front incessamment penché sur son livre sacré. Il venait de s’apercevoir que tous les mots divins avaient été adroitement effacés pendant la nuit dans sa Bible ; il s’arrachait de désespoir les cheveux et la barbe, qu’il avait eue auparavant très-fournie ; puis ayant suivi les traces de Merlin :

« Voyez, ô sage ! lui dit-il, ce qui est arrivé cette nuit (et il lui présenta le livre sacré). Que faire ? il n’y a, certes, que vous au monde qui puissiez retrouver les mots effacés par les méchants esprits. »

Déjà Merlin avait saisi le livre ; il vit avec stupeur que tous les endroits où se trouvait le nom de Dieu avaient été déchirés, lacérés, ainsi que ceux où se lisaient au-