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LIVRE XX.

maux. La faim, la soif, le gel, n’étaient rien auprès de celui-là ; il me donne le goût de la mort. Parlez-moi, répondez-moi, Merlin. Que je contemple de plus près le roi des bardes et de la gent inspirée. Je puiserai dans vos yeux la flamme que je crains avoir perdue. »

Cette naïve espérance du vieux poëte embarrassa Merlin plus qu’un reproche. Car il sentait que la source des beautés éternelles avait tari dans son cœur désenchanté, au moins pour un temps qu’il ne pouvait marquer ; et il avait honte de le laisser paraître. Aussi voulut-il d’abord repousser l’éloge que lui adressait Fantasus.

« Non, poëte. Merlin lui seul n’est pas la source des beaux chants.

— Vous êtes et vous resterez ô maître ! notre fontaine sacrée. C’est de vous seul que nous vivons ; nous autres poëtes, nous ne faisons qu’amplifier la parole de Merlin ; c’est à cela que se bornent nos œuvres.

— Parle sans exaltation, Fantasus ! les paroles trop ardentes empirent les maux les plus violents. Que je sache seulement comment tu as vécu jusqu’à ce jour.

— J’ai oublié de vivre. Ni femme, ni enfants, ni parents, ni amis, n’ont égayé mon seuil. J’ai méprisé le réel ; je n’ai pu trouver l’idéal.

— As-tu au moins trouvé la gloire dans ce jeu qui si souvent donne la mort ?

— La gloire ! je la cherche encore quand je ne l’espère plus.

— Qu’as-tu donc fait ?

— Tout s’est passé là dans ma tête.