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LIVRE XX.

— Le démon des beaux vers, dis-tu ? ah ! oui, fie-toi à celui-là ! Je le connais parfaitement, et je l’ai eu aussi à mon service. Fine-Oreille, surnommé Langue-d’Or, c’est son nom, n’est-ce pas ? Quelle tête, bon Dieu ! quelle cervelle ! quelle conscience tarée ! Les tours qu’il m’a joués à moi-même sont incroyables. Gageons qu’il est à cette heure dans la compagnie folle de Brin-d’Herbe-d’Or, de Fleur-de-Verveine, de Serpentin, un tas d’esprits follets, les génies les plus fantasques, les plus capricieux, les plus gueux, les plus indociles que j’aie jamais connus. J’ai tout fait pour me les attacher sérieusement. Quelle duperie ! ils me vendraient cent fois le jour, pour l’aigrette aérienne d’un chardon, pour une jolie rime, pour un trille de hautbois artistement cadencé dans la forêt. Je te plains d’avoir affaire à eux. Je leur ai donné congé ; ils en profitent pour s’enivrer, Dieu sait où, d’une goutte de rosée dans quelque coin mal famé de l’univers.

— Dites-moi, ô maître. Est-ce donc mon génie qui se perd ? Est-ce moi qui vieillis ? Est-ce le monde ?

— Entre nous, Fantasus, je crains non sans raison que le monde ne soit mort.

— Qu’entends-je ?

— Oui, mort, mon ami, et par ma faute. »

Et comme s’il avait eu peur de s’être trahi, il ajouta :

« Tant que dormira Arthus à la puissante haleine, je pressens que les temps seront mauvais pour les poëtes. »