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MERLIN L’ENCHANTEUR.

Mais, bien loin d’apaiser le poëte ulcéré, ces dernières paroles ne firent que réveiller ses tourments, et il étonna Merlin lui-même par ce cri d’angoisse que l’on a appelé plus tard dans toutes les langues :

LES LAMENTATIONS DE FANTASUS.

« Ô maître, éloignez de moi la vieillesse stérile du barde et du poëte.

« J’en ai vu plusieurs, la tête branlante, assis à leur foyer désert, cherchant encore un vain son qui les fuyait. Sans écho, sans ami, sans postérité, ils survivaient à leurs œuvres, comme un tronc ridé, caverneux, rempli d’oiseaux nocturnes s’élève parmi des feuilles flétries, amassées à ses pieds depuis soixante hivers.

« Est-ce le sort qui m’attend, ô Merlin ? verrai-je aussi mes œuvres, tombées de l’arbre, joncher au loin la terre autour de moi ?

« Caïn le meurtrier n’a été condamné qu’à cultiver des champs fertiles où chaque année croissent, pour lui, des moissons qui appellent l’allégresse. Il emporte ses gerbes dans ses greniers qui regorgent encore des produits du dernier été.

« Pourquoi, ô Merlin, suis-je condamné à cultiver le champ stérile de l’esprit, où je ne recueille que ronces et ciguë, après une lueur d’espérance toujours trompée ? Suis-je plus maudit que Caïn le maudit ?

« Apprenez-moi pourquoi m’est imposé le travail de la pensée qui ne peut même me donner le pain de