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LIVRE XX.

chaque jour. Moi seul, sur la terre, je sème et je ne moissonne pas.

« Ah ! si la jeunesse me restait, je frapperais encore une fois de mon front ce ciel d’airain qui me refuse même un rayon. Mais aujourd’hui, l’événement a trop souvent trompé mon désir ; et, comme autrefois j’ai cherché le bruit, je cherche maintenant le silence.

« Combien de fois, ô maître, je me suis juré à moi-même de ne plus penser, de ne plus rêver ! Mais au milieu de la nuit, quand tous les bruits sont assoupis, ma pensée se réveille en sursaut ; et malgré moi (car j’ai perdu la force de la retenir par le frein) elle tente de remonter vers les cimes accoutumées. Jusqu’au lever du jour, l’insomnie me dévore. Ma tête, où tintent mille anciennes chansons, se brise à en chercher de nouvelles ; et, quand le jour apparaît, toutes s’envolent et s’évanouissent à son éclat.

« Les vieillards sont entourés des fils de leurs fils, rangés en cercle, à leurs côtés ; ne verrai-je autour de moi que mes œuvres mortes, froids spectres, pour me faire mon cortége ?

« Quand la vie commençait pour moi, je me disais : Je dompterai leur froideur, leur indifférence à force d’inspiration ; et j’amassais, autour de moi, les œuvres et les chants sans les compter ;

« Ah ! si la sympathie des hommes se fût alors ajoutée à ma force, rien, ô maître, ne m’eût été difficile. Mais ce que n’ont pu les mille dents de l’adversité, l’indifférence l’a fait. Elle a insinué sa glace dans mes veines.