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MERLIN L’ENCHANTEUR.

des légendes ? Vous en venez, mon ami ; c’est le vôtre. Plût à Dieu que je n’en fusse jamais sorti ! Votre vie s’est passée dans les empires féeriques, vous m’avez laissé à moi tout le gouvernement et le fardeau du réel. Parlez-moi des mondes heureux que je ne connais plus, peuples des fées, génies, sylphes, nains, négromans qui ont la vie légère. Consolez-moi de ce que je souffre ici, parmi les royaumes et les peuples d’en bas, où l’esprit positif a chassé tous les autres.

— Préparez-vous donc aux plus funestes nouvelles.

— Que m’annonces-tu ?

— La mort des génies.

— Je m’y attendais.

— Je ne sais, maître, reprit Turpin, quelle tempête a soufflé sur le monde des fées. Là aussi on se révolte. Les capitales des fées les mieux assises, les vastes cités du pays des légendes, Potentiana, Sicambrie, aux murs d’or et de cristal, où j’ai passé mes plus beaux jours, tant d’autres que vous aviez bâties d’émeraudes se soulèvent contre le sceptre léger des sylphes. Qui le croirait ? J’ai conseillé, averti, harangué, prophétisé, le tout en vain ; les peuples enchantés ne veulent plus même supporter un joug de fleurs.

— S’il est ainsi, malheur à eux ! C’est moi qui l’avais tressé ; ils auront le joug d’airain. Je leur avais donné pour reine, Titania. Nulle n’avait la main plus légère à porter le sceptre. Clémente aux méchants, ménagère des bons, vivant de peu, l’ont-ils aussi dépossédée ? S’ils l’ont fait, ils ont repoussé la félicité même. »