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MERLIN L’ENCHANTEUR.

détresse. Nous abordons pour la recueillir et voici ce qu’elle nous raconte :

« Il y a trois ans, seigneurs, j’ai fait naufrage sur ce rocher. D’abord, je le crus désert. Mais du promontoire que vous apercevez d’ici, sortit un faune, en sautillant de roc en roc. Il appelait d’une voix barbare et il m’apportait des figues et des noisettes. Je voulus m’enfuir. Il redoubla ses cris. Par crainte je le suivis dans sa grotte, où je trouvai deux chèvres et des fromages séchés dans des cages d’osier.

« Il apaisa d’abord ma faim, puis, assis sur le seuil de la caverne, il se mit à jouer du chalumeau.

« Trois ans passèrent ainsi. J’essayai de lui apprendre à prononcer quelques mots d’une langue humaine. J’y renonçai en entendant les gloussements qui sortaient de sa poitrine de faune. Toutes les fois que je songeais quel était mon compagnon, je me faisais peur à moi-même. Mais, lorsque la vue de votre vaisseau me rappela la douce famille des hommes, j’oubliai la créature que je laissais derrière moi, et je ne pensai plus qu’à fuir. »

Comme elle achevait ces mots, le faune attiré par le bruit des rames sortit du fond des rochers et courut vers le rivage, en portant un enfant velu dans ses bras. Il tendit les mains vers nous avec désespoir. Plusieurs fois, il fit effort pour parler, sa langue se refusa à prononcer des paroles humaines. Alors, voyant que le vaisseau continuait sa route, il fit une chose dont le souvenir restera éternellement devant mes yeux. Il marcha