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MERLIN L’ENCHANTEUR.

Ah ! maître, quel spectacle que celui de l’agonie d’un vieux sylphe qui ne s’est jamais intéressé à une cause vivante ! Quelle sécheresse ! quelle mort sans majesté ! Ce spectacle me poursuivra jusqu’à mon dernier jour.

— Mais au moins mon ancien ami, Robin Hood ! Celui-là est resté ce qu’il était ? Chante-t-il toujours entre ses dents, comme au temps où je l’ai connu ?

— Tant s’en faut ! il avait le spleen. Tanné, bronzé, courbé au bord des flots amers, il ne lui restait qu’un souffle, et c’était pour siffler sur l’Océan. Il m’appelle ; j’accours :

« Va-t’en dire à Merlin que je me ris de sa prophétie. »

Il dit, et se jette dans l’Océan, la tête la première,

— Propos de désespéré, répliqua Merlin. N’en gardons pas rancune. J’avoue moi-même que ma malédiction contre Albion est retombée sur moi. Je me la suis toujours reprochée, et je la retire volontiers aujourd’hui, que plus d’expérience m’a éclairé. Les trois îles m’avaient provoqué, et nous, prophètes, nous cédons aussi quelquefois à la colère. Heureux quand nous pouvons bénir ce que nous avons maudit ! Paix donc au rouge Saxon et à l’Anglais ! S’ils n’ont pas toujours respecté autrui, ils se sont du moins respectés eux-mêmes. D’ailleurs le roi de Thulé plaide pour eux ; la meilleure des filles du roi Lear, toutes celles d’Ossian, les blondes Sirènes d’Écosse sont venues sur mon seuil. Pour apaiser ma colère, elles m’ont fait les dons qui m’agréent le plus ; elles m’ont versé dans des coupes