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MERLIN L’ENCHANTEUR.

rubis, où vous-même avez intronisé le roi des Aunes, la reine Alcine, la reine Urgande, la fée Dentu, qui tous vous doivent le sceptre, ce que je suis tenté mille fois le jour de rappeler, à eux, à leurs familles, à leurs peuples, à leurs courtisans !

— Calme-toi, Turpin ! les moments sont trop précieux pour les perdre en reproches. Quand je fondais sur un roc de diamant ces beaux empires féeriques, n’oublions pas, ami, qu’ils étaient promis au déclin. Hélas ! rien n’y échappe, pas même les songes. Ce jour est arrivé. Il te reste envers eux, envers moi, qui leur donnai des lois, une grande tâche à remplir.

— Laquelle ? interrompit Turpin qui avait peine à retenir ses larmes.

— D’écrire sur un livre enluminé tout ce que par tes yeux, ou par ceux d’autrui (pourvu que le rapport soit fidèle) tu auras appris de leur existence, bien entendu, Turpin, dans les temps où ils florissaient le plus. Sache que par là tu leur assureras dans la mémoire des hommes une existence éternelle, et à moi une véritable consolation par la pensée que la meilleure de mes œuvres, peut-être, est sauvée de l’oubli.

— Je le ferai donc, Merlin, pendant que j’en ai la mémoire encore fraîche. Dictez-moi seulement, je vous prie, pour commencer.

— Soit, mon fils. Et quand je serai dans la tombe, ne va pas t’arrêter, mais continue d’écrire ; tu feras là un livre merveilleux, qui manque aux humains, notre monument à l’un et à l’autre, que ne pourra ronger la