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MERLIN L’ENCHANTEUR.

« Maintenant je suis content ! Je puis mourir. Sans toi, on eût pu nier l’existence de tant de peuples enchantés que j’ai nourris, comme tu en as été toi-même témoin plus de cent fois, du pur froment de la justice. J’avais moi-même instruit les aigles et les corbeaux qui venaient chaque matin leur apporter leur pâture sans qu’ils eussent besoin de semer ni de moissonner ; mon projet était d’en faire autant pour toutes les autres nations, si les méchants ne s’étaient élevés contre moi.

— Témoin, interrompit Turpin, l’oiseau d’Attila, qui portait la becquée aux cités à peine écloses. On l’appelait Turul.

— Les témoins sont partout ; n’oublie pas les plus petits, les plus modestes, tels que les fauvettes et les rouges-gorges que j’ai envoyés souvent pour messager aux foyers des nations, quand elles me consultaient.

— Ces beaux temps reviendront. Prophète, vous vivrez encore avec nous de beaux jours !

— Aveugle que tu es ! Ne vois-tu donc pas comme ils dorment tous d’un sommeil de plomb ?

— Patience, maître ! C’est pendant le sommeil que l’âme, la bonne ouvrière, est le plus occupée. Souvent il m’arrive, à moi, de me coucher en cherchant dans ma mémoire un mot, un nom, une vieille date que j’ai oubliés. Je m’endors saintement et je les trouve à mon réveil sur le bord de mes lèvres. Ainsi feront les hommes. Ils ont oublié le nom de la justice, ils le retrouveront en rouvrant leurs paupières !