Page:E. Quinet - Merlin l'Enchanteur tome 2, 1860.djvu/267

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
263
LIVRE XX.

au pot ; le soir au souper, franche galimafrée, assaisonnée de matefaims, pour procurer un long sommeil.

Bref, on l’éblouit. Fasciné, étourdi, plutôt que convaincu, Jacques ne trahit pas son maître, il l’oublia aussi bien que le roi confié à sa garde. Il ne revint ni le lendemain ni le surlendemain ; sans savoir où, bouche béante, il suivait les bateleurs.

Ah ! si quelqu’un eût prononcé devant lui le nom de son maître chéri ; nul doute qu’il n’eût fondu en larmes ; il aurait rejeté les oripeaux dont on l’avait couvert ; peut-être même, dans sa première fureur, il aurait tourné son sabre de panetier contre ses séducteurs. Mais nul ne l’avertit, même par un signe. Nul ne réveilla sa pensée engourdie. Hélas ! laissons-le suivre sa destinée jusqu’où elle doit le conduire ; revenons à son maître.

Dès qu’il se vit abandonné de son dernier serviteur, il en conçut une misanthropie qu’il n’avait pas encore éprouvée, et sa plainte s’exhala devant le seul ami qui lui restât fidèle :

« Ô Turpin, le croiras-tu ? Ce Jacques que j’ai nourri du pain des forts, il me renie pour la centième fois. Le voilà embauché par je ne sais quel roi de Bohême, qui l’aura pris par son faible, le clinquant ; il m’a quitté sans prendre congé ; car, sans doute, il n’aurait osé soutenir mes regards.

— Maudit le Ribleur ! s’écria Turpin, dans un premier moment de colère. Vous l’avez gâté, seigneur. »

Mais bientôt radouci :