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LIVRE XXI.

mulus surmonté d’une tour d’ivoire, pareille à un pic de neige sur une cime verdoyante des Alpes. La porte, il est vrai, était effrayante, nue, inexorable. Une main de justice était gravée au-dessus de la voûte et montrait aux passants le chemin inévitable où toute voie aboutit. Mais au delà de ce seuil, quels palais soutenus par des piliers de cristal, quelles cours de marbre, pavées de mosaïques, quelles alcôves éternellement rafraîchies par des jets d’eaux ! Les murailles étaient brodées d’arabesques, sans aucune inscription. C’était comme une page blanche abandonnée à l’imagination de notre enchanteur ; vous verrez bientôt qu’il sut profiter de cette circonstance.

Ajoutez, je vous prie, des balcons sans nombre, suspendus sur des fleuves dont le bourdonnement s’entend à peine, sur des cataractes d’où s’élèvent pour retomber aussitôt les vapeurs irisées de l’abîme ; au sommet de la rive escarpée, des pavillons à treillis de bois de citronnier où Viviane allait peigner ses longs cheveux ; point de cyprès, ni d’arbres funéraires, et pourtant de vastes forêts ; sous leurs ombrages, dans les bas-fonds, quelques restes d’eau croupissante où coassaient, il est vrai, des grenouilles échappées des marais du Styx. Mais, avec le moindre travail, ces eaux trouveraient leur écoulement et formeraient des cascatelles (ce ne serait là, certes, qu’un jeu pour Merlin). Çà et là, une senteur ambroisienne qui s’exhalait de chaque fleur sculptée sur les murs (il y avait bien dans les angles des cours quelque peu d’orties et de pâles asphodèles, mais on allait les extirper) ; à côté du palais, une habi-