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LIVRE XXI.

Quant au jeu d’échecs, il était placé sur une table de marbre, les pièces en pur diamant déjà alignées, pour tromper, sans doute, le premier moment de lassitude, ou d’ennui, ou de caprice qui saisirait les deux amants dans leur tête-à-tête éternel.

Et croyez que jamais mon héros n’eut songé à emporter son jeu d’échecs dans son tombeau. Trop d’autres pensées remplissaient son esprit ; mais quand il aperçut sur l’échiquier les tours et les cavaliers, et le peuple de pions groupés autour du roi des pierreries, lequel avait une ressemblance bizarre avec Arthus, il ne put résister au désir de jouer une partie, sans doute pour railler le sépulcre. Viviane s’y prêta volontiers. Assis en face l’un de l’autre, dans le silence des choses, le front appuyé sur la main, la main sur la table de pierre, ils faisaient avancer ou reculer leur peuple de diamant. Comme ils n’étaient pressés par aucune des occupations du monde, ils méditaient à loisir, sans que ni l’un ni l’autre éprouvât d’impatience ; puis, souvent par-dessus les tours et les cavaliers d’émeraude se rencontraient leurs lèvres frémissantes. Alors Merlin transporté et se sentant près de gagner se levait, brouillait le jeu et disait :

« Il n’y a d’échec et mat que la mort. »

Puis, jetant un premier coup d’œil sur sa nouvelle demeure et ne sachant encore s’ils étaient seuls :

« Qu’as-tu fait, Viviane, de la troupe indiscrète de mes serviteurs ? Les esprits follets qui le plus souvent m’escortaient malgré moi m’ont-ils suivi dans ces lieux ?