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LIVRE XXI.

À ce moment, les yeux de Viviane s’enflammaient d’une lueur sacrée.

Les seuls instants où il se souvenait de l’ancienne souffrance étaient ceux où elle le quittait, principalement au printemps, lorsqu’elle allait visiter les fleurs et les oiseaux nouveau-nés dont elle était la patronne et la reine. La première fois que cela arriva, à peine Merlin se sentit seul, il poussa un gémissement dont retentirent tous les mondes invisibles ; car il se crut abandonné de nouveau, pour toujours. Et que faire dans une éternelle solitude ? Viviane, qui avait entendu sa plainte, ne tarda pas à reparaître.

« Tu ne veux pas, lui dit-elle, que je laisse mourir les roses et les oiseaux dans les nids ? »

Malgré ces paroles, Merlin la supplia, à mains jointes, de ne plus le quitter ; elle y consentit volontiers, et cette année-là moururent toutes les fleurs et la couvée de presque tous les oiseaux. Car les uns et les autres avaient le plus grand besoin de sentir, une fois au moins, l’haleine amoureuse de Viviane.

À cette nouvelle, Merlin promit qu’il ne la retiendrait plus. Sachant qu’elle ne s’absentait que par nécessité et pour veiller au royaume immaculé des fleurs, il appela à son aide la raison, la justice universelle. Fallait-il donc sacrifier les roses à sa propre félicité ? Grâce à cette réflexion, soutenue de beaucoup de sagesse, il retrouva et sut garder l’ancienne paix, même quand il était seul.

À partir de ce moment, on peut dire que nulle souffrance n’approcha du cœur de Merlin.