Page:E. Quinet - Merlin l'Enchanteur tome 2, 1860.djvu/295

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
291
LIVRE XXI.

la lampe s’échappait subitement à travers une des fissures du tombeau et illuminait aussitôt la terre. Mais Viviane lui disait :

« Cache ta lampe, Merlin ; ta lumière les aveuglerait. »

Merlin obéissait sans répliquer ; il couvrait la clarté de la lampe avec le creux de sa main. La terre aussitôt s’enténébrait d’un pôle à l’autre ; mais la figure de Viviane avait été tout éclairée ; elle paraissait plus belle. Quand vous voyez que les cœurs des hommes s’obscurcissent, et qu’il fait nuit en plein jour sur les peuples, dites avec certitude : « Merlin cache sa lampe sous sa main. »

Ils avaient quelques troupeaux de licornes et d’aurochs qui les occupaient chaque jour, peu d’instants. Ces troupeaux, beaux et gras, étaient gardés par un centaure qui leur rendait fidèlement le lait et la toison. La basse-cour, bien approvisionnée, regorgeait d’ibis et de phénix qu’eux-mêmes nourrissaient de grains.

Au commencement, une grande horloge, au sommet de la tour, marquait exactement les heures. Son balancier était souvent le seul bruit que l’on entendait, avec le mugissement des troupeaux funèbres qui sortaient de l’étable ou y rentraient, deux fois le jour, la mamelle traînante. Merlin oublia une fois de remonter l’horloge ; depuis ce temps, ils ne firent plus la différence des heures. Au reste, jamais ils ne se demandaient l’un à l’autre : Quelle heure est-il ? Ils n’y pensaient pas même. Ils finirent par oublier que le temps marchait,