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LIVRE XXI.

faut partager avec les bouledogues ! Savez-vous encore déchirer la main qui vous délivre et lécher celle qui vous enchaîne ?

— Nous ne l’avons pas oublié.

— S’il est ainsi, restez où vous êtes, moi où je suis. Il m’en coûterait trop de voir la noble face de l’homme descendue à la face bestiale.

— Mais, seigneur, ne reviendrez-vous plus parmi nous ? ajoutèrent les peuples en pleurant.

— Cela dépend entièrement de vous, répliqua Merlin. À moins que vous ne vous réformiez beaucoup vous-mêmes, j’aurais la plus grande peine du monde à vivre près de vous, même un seul jour ; car, à parler franchement, je me suis toujours senti, je ne sais pourquoi, un peu étranger au milieu de vos villes et même dans vos campagnes. Ce que je méprisais, vous l’adoriez. D’ailleurs, ce que je n’avais jamais pu auparavant, je respire ici, à pleins poumons, la justice, la vérité, la liberté, la paix, surtout l’amour. J’aurais peine à m’en déshabituer, et, sans doute, j’étoufferais parmi vous.

— On dira, maître, que vous n’êtes pas notre ami.

— Dites, parlez ! criez ! rugissez ! vos paroles seront du vent jusqu’à ce que vous les ayez lestées de justice. »

En parlant ainsi avec rudesse, l’enchanteur espérait aiguillonner le cœur des hommes ; ce qui ne manqua pas d’arriver, puisque la foule repartit sur-le-champ :

« Ne nous méprisez pas trop, seigneur Merlin.

— C’est mon plus grand désir ; mais le tombeau n’est pas courtisan.