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MERLIN L’ENCHANTEUR.

viane lui essuya son front tout ruisselant de la sueur des morts. Deux fois, il secoua la tête, et il ébranla les collines, les promontoires bleuâtres, les villes assises sur ses genoux. Tout son visage s’illumina d’une sombre lueur de joie, comme au matin de son combat contre les grands dieux. Dans le même temps, il fit signe des yeux et des sourcils, pour montrer au loin un de ses compagnons.

Merlin, sans l’interroger, éleva sa lampe de ce côté ; il aperçut, à l’endroit où se reflétaient les rayons, un homme qui se tenait debout, immobile, à mesure que fuyaient les ténèbres. Ses épaules et sa tête étaient seules courbées, comme celles des hommes qui déchargent un navire, dans le port de Marseille. Le sang lui jaillissait du front sous le fardeau qui l’accablait, et cette rosée tombait en pluie autour de lui. Aussi, avec plus d’impatience que son compagnon, il se mit à crier d’une voix oppressée :

« Hâte-toi, si tu viens pour soulager les épaules d’Atlas. Je suis las de porter le monde ; il s’en est peu fallu que je ne l’aie déjà laissé choir à mes pieds, dût Némésis me déchirer éternellement de son fouet.

— Atlas, lui dit Merlin, je prendrai sur mes épaules ton fardeau, mais seulement pour une heure. Aussi bien, tu gardes mal l’équilibre. Trop d’États penchés vont crouler, si je ne te viens en aide. Vois comme tu inclines de ce côté, et comme ton pied est mal affermi. Pauvre colosse, reprends un peu haleine, et désaltère-toi à cette coupe ; elle m’a été donnée par Arthus, et elle